3 octobre 2007
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21:59
"Je comprends ce que les gens disent. C’est pénible, je n’en ai pas l’habitude. Je déteste ça. Les gens parlent, j’entends sans avoir besoin d’écouter et je comprends. C’est infernal. J’ai l’impression de me mêler de ce qui ne me regarde pas. D’ailleurs ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas savoir. Voilà déjà quarante ans que j'avance avec des oeillères et des bouchons auriculaires et ça me convient trés bien. Me convenait trés bien, que c'est agaçant !
Je parle au figuré, bien évidemment. Me ballade pas dans la rue avec un attirail digne d'un cheval sur le chef ou des lunettes de soleil opaques ni avec des boules quies ou même, presque pire encore, un casque de MP3 vissé sur les oreilles.
Non. Mais jusqu'ici j'ai toujours été doté d'une capacité quasi miraculeuse à ne rien voir et ne rien entendre.
Un tsunami en Asie ? Ici ça va trés bien, merci. Un SDF tendant la main au feu rouge, peinant entre deux béquilles et le moignon de sa jambe entouré d'une protection cradingue ? Flute, il y a un éclat sur mon pare-brise. Des inondations dans le sud de la France ? Qu'est-ce qu'il y a au cinéma ce soir ? La petite fille des voisins qui hurle tous les soirs, ces parents qui crient, des bruits de claques et puis ce silence assourdissant avant un long sanglot gémissant, doux, perdu, abandonné ? Hé, oh, Alphonse, monte la télé et arrête de nous gonfler, t'tes façons les gosses font toujours du bruit et puis les filles c'est pleurnicheur.
"Qu'est-ce qui s'est passé l'autre soir ?" me demande sans relache le policier face à moi. "Vous étiez chez vous, votre appartement est voisin de celui des Duplomacheriques."
(oui, c'est exactement cela, j'étais rentré à 19 H 30 comme d'habitude...)
À ce moment-là tout était calme ?
Oui...
Et c'est bien vers 20 heures que vous avez entendu les parents Duplomacheriques commencer à se disputer, et aprés que s'est-il passé ?
C'est pénible, il ne me laissera pas tranquille, il ne me laissera pas rentrer chez moi avant que je lui aie tout raconté. Si j'avais encore mes oeillères et mes oreillettes, je n'en serais pas là...
Et le pire c'est que j'ai l'impression d'avoir des yeux et des oreilles pour la première fois de ma vie. Des oreilles pour entendre ces gémissements perdus, terribles. J'ai oublié, quand mes oreillettes et mes oeillères sont tombées, j'ai aussi récupéré des jambes pour aller me planter devant la porte de mes voisins, des bras pour frapper à la porte, tambouriner jusqu'à ce qu'ils ouvrent, parce que ça criait à nouveau là-dedans (voix d'homme, excédée) et que ça sanglottait de façon incontrôlée.
Et quand la porte a cédé, j'ai vu cette petite, la petite brune aux boucles brillantes et aux yeux bleus, accrochée à ce truc, cette peluche, oui, vous avez raison, c'est sans doute son doudou, ses yeux brillants de larmes et de je ne sais quoi, terreur folle, sanglots qui ne parvenaient plus à sortir, et puis du sang qui coulait de son nez, et la maman prostrée sur le sol...
Et du coup j'ai compris, j'ai compris ce qui se passe chez ces gens, comme je comprends maintenant ce que me dit le policier. Je sens que ces nouvelles capacités me promettent de belles journées.
Est-il préférable de ne pas se mêler de ce qui se passe chez les voisins, est-il préférable d'avancer dans la vie sans rien voir ni entendre ou d'avoir tué l'homme qui frappait sa femme et sa fille ?
"C'était un accident, n'est-ce pas ?" me demande le policier.
"Je n'ai pas voulu le frapper, mais il s'est jeté sur moi et la femme pleurait, j'ai seulement voulu le repousser, il est tombé dans l'escalier.
Vous êtes sûr que la petite et sa maman vont se remettre ?"
Ceci est donc ma participation du mercredi soir au Sablier d'Automne. Bien sombres, mes deux derniers textes, mais ils sont venus comme ça au fil de la plume. Du clavier, pardon. Et puis si vous aviez lu la fin qui me venait à l'esprit, là c'était carrément à pleurer et on n'est pas là pour ça...
Pour "l'anecdote" si l'on peut appeler ça ainsi, je vis dans un mini immeuble avec, à l'un des étages, une famille : la maman, petite et plutôt frêle, visage dur et peu agréable quand on la croise, deux ados entre dix-huit et vingt ans, mâle et femelle, frères et soeurs ou en couple, je n'ai jamais réussi à savoir et m'en fiche, une jeune femme d'environ vingt-vingt-deux ans, qui à priori ne vit pas forcément ici, est la fille de la maman et la soeur d'au moins l'un des deux ados, et a un petit bout d'environ un an ; enfin, il y a une "gamine" d'environ douze ans, plutôt mignonne avec des yeux brillants et un joli sourire quand elle dit bonjour, qui rattrape les têtes maussades de quasiment tous les autres.
Et cette petite, deux-trois fois l'hiver dernier il y avait eu du bruit et je l'avais entendu pleurer d'une façon qui m'avait fait de la peine.
Que faire ? Y-avait-il un problème ou pas ? J'écoutais derrière ma porte ou carrément sur le palier, je scrutais la famille quand je les voyais.
Ça ne s'est produit que deux-trois fois. J'ose espérer que si cela s'était reproduit j'aurais fait quelque chose...
Je parle au figuré, bien évidemment. Me ballade pas dans la rue avec un attirail digne d'un cheval sur le chef ou des lunettes de soleil opaques ni avec des boules quies ou même, presque pire encore, un casque de MP3 vissé sur les oreilles.
Non. Mais jusqu'ici j'ai toujours été doté d'une capacité quasi miraculeuse à ne rien voir et ne rien entendre.
Un tsunami en Asie ? Ici ça va trés bien, merci. Un SDF tendant la main au feu rouge, peinant entre deux béquilles et le moignon de sa jambe entouré d'une protection cradingue ? Flute, il y a un éclat sur mon pare-brise. Des inondations dans le sud de la France ? Qu'est-ce qu'il y a au cinéma ce soir ? La petite fille des voisins qui hurle tous les soirs, ces parents qui crient, des bruits de claques et puis ce silence assourdissant avant un long sanglot gémissant, doux, perdu, abandonné ? Hé, oh, Alphonse, monte la télé et arrête de nous gonfler, t'tes façons les gosses font toujours du bruit et puis les filles c'est pleurnicheur.
"Qu'est-ce qui s'est passé l'autre soir ?" me demande sans relache le policier face à moi. "Vous étiez chez vous, votre appartement est voisin de celui des Duplomacheriques."
(oui, c'est exactement cela, j'étais rentré à 19 H 30 comme d'habitude...)
À ce moment-là tout était calme ?
Oui...
Et c'est bien vers 20 heures que vous avez entendu les parents Duplomacheriques commencer à se disputer, et aprés que s'est-il passé ?
C'est pénible, il ne me laissera pas tranquille, il ne me laissera pas rentrer chez moi avant que je lui aie tout raconté. Si j'avais encore mes oeillères et mes oreillettes, je n'en serais pas là...
Et le pire c'est que j'ai l'impression d'avoir des yeux et des oreilles pour la première fois de ma vie. Des oreilles pour entendre ces gémissements perdus, terribles. J'ai oublié, quand mes oreillettes et mes oeillères sont tombées, j'ai aussi récupéré des jambes pour aller me planter devant la porte de mes voisins, des bras pour frapper à la porte, tambouriner jusqu'à ce qu'ils ouvrent, parce que ça criait à nouveau là-dedans (voix d'homme, excédée) et que ça sanglottait de façon incontrôlée.
Et quand la porte a cédé, j'ai vu cette petite, la petite brune aux boucles brillantes et aux yeux bleus, accrochée à ce truc, cette peluche, oui, vous avez raison, c'est sans doute son doudou, ses yeux brillants de larmes et de je ne sais quoi, terreur folle, sanglots qui ne parvenaient plus à sortir, et puis du sang qui coulait de son nez, et la maman prostrée sur le sol...
Et du coup j'ai compris, j'ai compris ce qui se passe chez ces gens, comme je comprends maintenant ce que me dit le policier. Je sens que ces nouvelles capacités me promettent de belles journées.
Est-il préférable de ne pas se mêler de ce qui se passe chez les voisins, est-il préférable d'avancer dans la vie sans rien voir ni entendre ou d'avoir tué l'homme qui frappait sa femme et sa fille ?
"C'était un accident, n'est-ce pas ?" me demande le policier.
"Je n'ai pas voulu le frapper, mais il s'est jeté sur moi et la femme pleurait, j'ai seulement voulu le repousser, il est tombé dans l'escalier.
Vous êtes sûr que la petite et sa maman vont se remettre ?"
Ceci est donc ma participation du mercredi soir au Sablier d'Automne. Bien sombres, mes deux derniers textes, mais ils sont venus comme ça au fil de la plume. Du clavier, pardon. Et puis si vous aviez lu la fin qui me venait à l'esprit, là c'était carrément à pleurer et on n'est pas là pour ça...
Pour "l'anecdote" si l'on peut appeler ça ainsi, je vis dans un mini immeuble avec, à l'un des étages, une famille : la maman, petite et plutôt frêle, visage dur et peu agréable quand on la croise, deux ados entre dix-huit et vingt ans, mâle et femelle, frères et soeurs ou en couple, je n'ai jamais réussi à savoir et m'en fiche, une jeune femme d'environ vingt-vingt-deux ans, qui à priori ne vit pas forcément ici, est la fille de la maman et la soeur d'au moins l'un des deux ados, et a un petit bout d'environ un an ; enfin, il y a une "gamine" d'environ douze ans, plutôt mignonne avec des yeux brillants et un joli sourire quand elle dit bonjour, qui rattrape les têtes maussades de quasiment tous les autres.
Et cette petite, deux-trois fois l'hiver dernier il y avait eu du bruit et je l'avais entendu pleurer d'une façon qui m'avait fait de la peine.
Que faire ? Y-avait-il un problème ou pas ? J'écoutais derrière ma porte ou carrément sur le palier, je scrutais la famille quand je les voyais.
Ça ne s'est produit que deux-trois fois. J'ose espérer que si cela s'était reproduit j'aurais fait quelque chose...